Service client : pourquoi en faire une obsession ? 

Sur les conseils de mon support technique à Webmecanik, j’ai parcouru ce livre qui nous parle de l’excellence du service comme driver de la croissance. L’excellent ouvrage de Jonathan Lefèvre, L’obsession du Service Client, les secrets d’une start-up qui a tout misé sur l’expérience client (ed. Dunod), préface de Jean-Daniel Guyot, nous parle en réalité de la fulgurante ascension de Captain Train, créé en 2009, puis racheté et devenu Trainline en 2016. 

En l’espace de quelques années, Captain Train a juste dynamité le monopole de réservation de train de la SNCF, puis des compagnies nationales européennes en leur donnant un sérieux coup de vieux. Vous n’avez plus jamais acheté un billet de train de la même façon. Et voici pourquoi. 

Traiter son 100.000ème client comme si c’était le premier

Le secret du service client de Captain Train, c’est tout d’abord “un état d’esprit”. Souvent avec des principes de bon sens, qui prennent en compte la déconnexion entre la qualité du service que pense donner l’entreprise et la réalité vécue par les clients. 

80% des entreprises pensent fournir un service client de qualité
8% de leurs clients pensent qu’elles fournissent en effet un service client de qualité supérieur

Source : Les Ressources

Jonathan identifie 6 principales raisons pour lesquelles un service client est souvent défectueux : 

  • des réponses standardisées,
  • des interlocuteurs qui ne prennent pas la responsabilité,
  • absence de transmission de dossier entre services
  • expertise limitée des intervenants 
  • suggestions non prises en compte
  • temps d’attentes interminables 

Pour y répondre, Captain Train a identifié les Key Success Factors suivants. 

La vitesse avant tout 

Personne n’a jamais contacté un service client en se disant “j’aimerai bien qu’ils mettent du temps à me répondre”. 

70% des clients qui se plaignent vous resteront fidèles si vous résolvez leur problème.
95% vous resteront fidèles si vous résolvez leur problème immédiatement.
Source : Les Ressources

Captain Train comprend très vite qu’il faut analyser l’urgence objective du client. Certains messages avec des majuscules partout et exprimant une urgence apparente sont souvent des réactions de l’expérience utilisateur à priori face aux délais insupportables des “services clients” traditionnels.

NPS : un indicateur fiable de satisfaction clients ? 

Pour Captain Train, le Net Promoter Score fait partie de ces vanity metrics qui ennuient les clients avec des questionnaires auto-centrés sur l’entreprise. Même si l’avantage du NPS est sa grande simplicité d’usage (avec des questions à répondre sur une échelle de 1 à 10), ce qui en explique son succès auprès des équipes marketing, son grand inconvénient est son exécution pour 3 grandes raisons : 

  1.  Les questions portent sur leur comportement futur, aussi fiable que les sondages de votes pré-élections. Jonathan cite Netflix qui préfère interroger ses clients sur leurs actes passés (“avez-vous déjà recommandé notre service ?”). 
  2. Tout le monde ne comprend pas la question de la même manière, et de ce fait l’interprète différemment et ne répond plus à la même question objective. 
  3. L’échelle de notation est subjective. Les Anglo-Saxons mettent 10 quand ils sont très contents, les Européens mettent plutôt un 8. 

En définitive, Jonathan nous pose la question fondamentale : ai-je vraiment besoin d’un chiffre pour apprécier la qualité de la relation client ? Est ce que de constater les messages publiés spontanément par les clients, en public comme en message privé, en bien comme en mal, n’est il pas déjà un bon indicateur de tendance ? Qui plus est, avec un effet d’immédiateté face à des événements d’actualité (les serveurs tombent, grève de train). 

“Quand une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure”, Charles Goodhart

Alors si mesurer n’est pas améliorer le service rendu, la rapidité est-il le seul critère valable?

Vite c’est bien, efficace c’est mieux, avec la forme c’est parfait 

La formule de Captain Train a toujours été de parler à des amis selon le principe que la confiance est la clé, et l’amitié découle de la confiance. 

Pour cela le précurseur de Trainline a formalisé dans le temps la tonalité de sa marque : 

  1. La tempérance en ne publiant que lorsque c’est nécessaire
  2. Un langage spécifique et précis, pas de langue de bois ou de généralités
  3. Pas de jargon, une langue claire et compréhensible par tous·tes
  4. Ecrire comme des humains chaleureux, et non comme des communicants
  5. Ecrire de façon appropriée en s’adaptant au contexte de l’audience et de l’actualité
  6. Écrire de façon simple, Captain Train ne vend après tout que des billets de train ! 

Trouver la bonne tonalité n’est pas pour autant une mince affaire. Il faut s’obliger à s’adapter aux évènements et aux sujets. Ce que peut faire plus facilement un commerçant dans la vrai vie de son magasin est beaucoup moins évident dans l’automatisation de processus métier via une plateforme internet. 

Pas de service client par téléphone, ni chatbot

Le constat de Trainline est clair : les systèmes asynchrones tels que l’email et les réseaux sociaux font gagner du temps à tout le monde. Les clients et les collaborateurs. 

  • pas de temps d’attente en bout de ligne,
  • obligation de transparence, pas de manipulation,
  • contraint à énoncer clairement,
  • permet de gérer de plus gros volume avec une historisation automatique,
  • Le téléphone, réservé en mode outbound, est très peu demandé par les clients. 

Les réseaux sociaux sont utilisés par les services clients, en lieu et place des community managers, pour partager de l’information utile à tous lorsqu’un souci se pose. En faisant de chaque acteur du support également un communiquant, la réactivité et la spontanéité deviennent une marque de fabrique appréciée des clients et de leurs cercles proches. De la viralité pratique en quelque sorte. L’objectif de l’écrit devant rester impérativement avec un un objectif unique, celui d’aider

Les limites que s’impose Captain Train sont directement issues de ce dernier paradigme : 

  • Rebondir sur l’actualité, sauf à ce que l’à soit directement lié au ferroviaire et donc utile au service des clients.
  • Retweeter des compliments, en mode égotique. 
  • Intervenir dans une conversation, sauf à ce qu’il y ai une sollicitation explicite nécessitant alors une réponse.

Quant au chatbot, même s’il est plébiscité par les internautes pour sa spontanéité, il est une source potentielle d’insatisfaction. Pour les mêmes raisons : 

  • il décuple les attentes du visiteur,
  • il requiert une disponibilité plus importante,
  • il augmente les conversations inbound.

Finalement, le chatbot rencontre des inconvénients similaires au téléphone. Le chatbot donne l’espoir d’une conversation synchrone avec une personne disponible. Si vous n’avez pas de ressources suffisantes, alors cet espoir sera déçu. Si le chatbot semble un bon intermédiaire entre le téléphone et l’email, il penche de fait vers la discussion en temps réel, ce qui le rend souvent incompatible avec la résolution de problèmes complexes.

Empathie as a Service 

Si le service client était un produit, l’empathie en serait une fonctionnalité. Cette assertion de Jonathan trouve toute sa quintessence sur la façon dont une entreprise traite les résiliation à un service dématérialisé avec abonnement. Qui a envie d’envoyer un LRAR là où un simple clic bouton avec validation email ou sms peut suffire ? 

L’empathie se concrétise chez Trainline en 3 traits essentiels : 

  • Anticiper la question suivante et y répondre.
  • Assumer ses responsabilités et être capable de s’excuser quand nécessaire.
  • Adapter le ton de réponse au client et au contexte.

99% des sources d’énervement d’un client reste le manque d’information de ce même client. Se mettre à sa place permet bien souvent de pallier un manque d’information sous forme d’article ou de contenu via un message transactionnel automatisé. 

Finalement résoudre un problème comme si c’était le votre reste le meilleurs moyen d’améliorer en continu les contenus (support technique, inbound marketing) et les processus de relation clients (CRM & Marketing Automation). Le dogfooding comme disent les Américains : “Eat your own dog food”. 

Le mantra du service client “under-promise, over-deliver”

Une promesse est une dette de l’entreprise envers ses clients.
La satisfaction perçue des clients est la différence entre leur attente et leur perception du service rendu. Céder à la tentation court-termiste de donner un délai de réponse sans certitude de pouvoir tenir cette promesse, c’est courir le risque de décevoir sur une attente jusqu’alors souvent inexistante.

Captain Train fait le choix d’entreprise de ne jamais communiquer sur les futurs évolutions de de son produit et de ses fonctionnalités. Afin de ne pas créer des attentes inutilement. En communiquant uniquement sur des fonctionnalités prêtes, testées et opérationnelles, les entreprises, notamment technologiques, ont d’autant plus de chance de surprendre et satisfaire leurs clients.  

Tendre vers l’Inbox Zéro

Moins vous avez de choses en cours, plus votre bande-passante mentale et en organisation d’entreprise est libre pour autre chose. C’est le précepte de David Allen dans son livre “Getting The Things Done”.  

L’adaptation de cette méthode GTD chez Trainline donne : 

  • si quelqu’un commence à traiter un ticket, autant qu’il le traite jusqu’au bout, 
  • si une action est nécessaire, on le fait maintenant,
  • si une réponse est attendue, on s’en occupe de suite,
  • une fois répondu, la réponse est archivée,
  • fonction snooze pour les tickets en attente de réponse. 

Bien qu’asynchrone, l’ensemble des flux doit être répondu dans la journée. Sinon c’est un indicateur de réorganisation.

Les principaux outils utilisés sont : 

  • Un logiciel de Helpdesk maison (par exemple Help Scout ou Front) .
  • Buffer Reply pour les réseaux sociaux qui permet de regrouper tous les messages dans une boîte de réception collaborative comme Slack ou Jamespot.
  • Une base de données de réponses déplacées au niveau individuel avec ses propres éléments de langage, pas au niveau de l’entreprise avec un langage pré-formaté. 

Afin d’accélérer les processus, rien de mieux que de simplifier la tâche de suivi de la conversation et de dossier pour les utilisateurs du service. Les clients ne vous remercieront jamais assez de leur épargner un effort de contextualisation. Rappelez vous votre dernier appel dans une banque ou une préfecture, où à chaque standard vous devez formuler votre demande à nouveau ! 

Les adresses email “noreply@monentreprise.com” sont également bannies, car non seulement ils dépersonnalisent la relation, mais encore ils interdisent une réponse immédiate. Alors qu’il est si simple avec les solutions de Marketing Automation de personnaliser avec des adresses email réelles en fonction du moment de disponibilité, par secteur d’activité ou selon les clients en synchronisation avec le CRM de type Help Desk comme Zendesk ou Crisp

Relation client réussie : conseils 

Une écriture soignée, pas de fautes d’orthographe. Une typographie sans artifice et cohérente, des phrases simples et sans jargon. 

Des propos sincères et vrais, mais sans excès de détails qui pourraient se retourner contre l’entreprise. 

Ne pas chercher à à avoir raison, et même au contraire offrir un “vous avez raison, et … “ pour détendre l’atmosphère. Quand bien même vous détenez la vérité, le client s’en fiche, il veut de l’empathie avant tout. 

Mettre le client face à ses actes, i.e. lui demander de participer en faisant et en montrant (une facture, une copie d’écran, etc.).

Prendre du recul en laissant passer quelques heures même dans des situations urgentes, et lorsque la relation chauffe, ne pas hésiter à changer le client d’interlocuteur. 

Partir du principe que le client a vraiment un souci qui vient de chez vous, les cas de “le problème est entre la chaise et le clavier” sont finalement minoritaires. 

Toujours faire un compte-rendu ou post-mortem de ce qu’il vient de se passer et des actions entreprises ou planifiées. 

Une politique claire des gestes commerciaux en interne. C’est un choix marketing avant tout. 

Surpasser les attentes est un mauvais investissement. En effet, il semble que la fidélité ne soit statistiquement que peu corrélée à la qualité du service client. Les clients partent s’il est mauvais, mais ils ne restent pas forcément même s’il est excellent. On reste pour la qualité d’un produit, on part pour la non qualité du service. 

Tout le monde au Support

“Quand les ingénieurs répondent aux emails et aux appels téléphoniques des clients, la seconde ou la troisième fois qu’ils reçoivent la même question, ils arrêtent ce qu’ils font et corrigent le code source. Ensuite nous n’avons plus jamais la question.” Paul English, CEO de Kayak. 

Le support intéresse tout le monde. Certes, mais chez Webmecanik nous ne pensons pas que la R&D doit répondre au téléphone et gérer les tickets. En revanche, ils sont en direct avec le support technique et les customer success managers via la messagerie interne Slack. Ce qui évite les multiples ping-pong du client et les allers et retours en interne.

D’ailleurs chez Captain Train, ils sont aussi passés d’un système libre où tout le monde pouvait accéder à la base de ticket clients et y répondre, à quelque chose de plus structuré avec un créneau mensuel fixe inscrit dans l’agenda pour ceux qui le souhaitent. L’engagement personnel engendré par une réponse rédigée soi-même à un client, ça change le niveau d’engagement. 

Mais il y a mieux chez Trainline. Lorsqu’un bug ou une suggestion est remontée, elle est gardée en base. Et lorsqu’il y a une correction ou nouvelle fonctionnalité, la personne à l’origine de l’information est notifiée : effet waouh garanti ! 

Support et croissance 

La réponse de Captain Train est radicale. Ils considèrent que le support sert surtout à améliorer le produit. Le support de niveau 1 n’existe pas. Les questions faciles doivent être résolues directement par le produit. Proposer la fonctionnalité qui répond à une question récurrente, permet du jour au lendemain de passer de plusieurs tickets support par jour à … rien. Et pour toujours. Et cela reste l’essentiel du vecteur de croissance de la société. 

Ensuite l’expérience utilisateur sera toujours meilleure si les clients peuvent résoudre leur problème par eux-même. Trainline traite donc sa base de connaissances comme un véritable produit, avec le soucis d’être spécifique, informatif, et concis : 

  • moteur de recherche avec auto-complétion,
  • sélection des FAQ (Frequent Asked Questions), ou les questions à plus forte occurrence,
  • navigation manuelle avec des catégories les plus logiques possibles.

Bonus : un site de support bien fait est excellent pour le SEO puisqu’il y a de fortes chances pour que des questions d’utilisateurs de services comparables aux vôtres posent des questions aux moteurs de recherche qui atterriront chez vous. L’occasion parfaite pour découvrir votre service en plus de répondre à la question. 

L’aide contextuelle pendant l’usage du service lui-même est une assistance très appréciée. Des logiciels de Contextual Help Desk sont disponibles comme Elevio ou Intercom. Ce qui va souvent de paire avec le souci souvent mésestimé du parcours client vers le service client et ses ressources. En effet, une expérience client est d’autant plus réussie que ce dernier a pu résoudre son soucis directement avec les contenus mis à disposition, sans contacter le service client. Et c’est là que Captain Train a pris une des meilleurs décisions, en embauchant un Support Tech, les gains de productivités apportés par 2 développeurs ayant largement contribué à la scalabilité de l’équipe support avec un nombre d’embauche bien inférieur à la croissance du business. 

Service Client : une culture d’entreprise

Définir quelle relation client voulait l’entreprise – et donc ses dirigeants – à précédé les embauches. Pour deux raisons tout à fait convaincantes : 

  1. La passion est contagieuse, et permet de recruter les candidats idoines correspondant à cette culture.
  2. Cela évite de recruter des personnes ayant des valeurs différentes risquant de casser la cohésion d’équipe et donc la marque de confiance des clients. 

C’est également le meilleur moyen de laisser les initiatives à ceux qui sont au plus proche des clients. Ce n’est pas au management de prendre les – bonnes – décisions. Le management ne consiste pas à accumuler du pouvoir, mais à abandonner une partie de celui-ci. Cela s’appelle la confiance par défaut, et qui permet au client de recevoir un sentiment de sécurité et percevoir celui de la compétence. 

Jonathan en guise de conclusion évoque le cas de l’entreprise Zappos, qui vend des chaussures en ligne et racheté par Amazon pour 1,2 milliards de dollars. Leur devise “Delivring WOW through service”. Quand les entreprises lambda misent tout sur l’acquisition, Zappos mise tout sur la rétention.

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