E-mail Is Not Dead

Les enjeux des campagnes emailing sont toujours plus stratégiques

Interview avec Bruno Florence – Consultant CRM Emailing, Cofondateur des EmDay, Board Member de la Data Marketing Association. 

Enfant des années 1970, je me souviens d’une époque où le publipostage, les appels à froid sur les téléphones en bakélite, et les salons pro étaient les seuls moyens pour les entreprises B2B d’atteindre les clients. Dans les années 1990, le courrier électronique est devenu plus commun, bouleversant notre monde du marketing dans les années 2000 avec l’apparition de routeurs emails professionnels comme Emailvision permettant au B2C d’entrer dans la danse. Les logiciels de Marketing Automation venant raffiner le travail avec des logiciels SaaS comme Eloqua en 1999 et surtout Hubspot à partir de 2006.

Avec l’explosion des réseaux sociaux dans les années 2010, les marques ont vu une explosion de l’engagement, ce qui a fait dire à beaucoup de consultants marketing que les e-mails étaient morts. Tout comme le courrier.

Tous les consultants ? Non. Tandis que les que la meute pense que les règles anti-spam des telcos et les réglementations pro opt-in de type RGPD sonnent le glas des e-mails, les plus opiniâtre analyse les données. 

Et les chiffres ne mentent pas. Le marketing par e-mail est tout sauf mort. Les techniques marketing qui travaillent les grands comptes (ABM, ou account based marketing) ne fait que renforcer le rôle du courrier électronique dans le processus de vente B2B. Et les scénarios automatisés suite au visionnage d’une vidéo de bricolage ou d’un configurateur automobile et immobilier, font qu’il n’y a pratiquement aucun modèle de vente-marketing qui ne bénéficie pas d’un plan stratégique d’email marketing.

Mais ne me croyez pas sur parole. 

Aux derniers EMDay, j’ai rencontré un de ces consultants visionnaire et opiniâtre. Bruno FLORENCE est un des cofondateurs de ce plus gros évènement dédié à l’e-mail marketing, et également membre du bureau de la DMA (Data Marketing Association – 200 membres qui s’engagent au respect de la déontologie et des bonnes pratiques marketing). Bruno vous explique ici les raisons pour lesquelles le marketing par e-mail est toujours aussi efficace.

 

source : Webmecanik

Bruno, une étude de la GDMA de 2022 (Global Data & Marketing Alliance) montre que 35% des personnes interrogées sont enclines à partager leurs données avec les entreprises. Une bonne nouvelle pour les campagnes marketing des annonceurs ? Et pourquoi est-ce contre-intuitif ?  

Le sujet du partage des données (et du recueil du consentement) est complexe et ancien et il y a différentes façons de mesurer le souhait pour les internautes de partager leurs données personnelles avec des entreprises.
L’étude GDMA pose la question suivante : “Je me sens plus à l’aise qu’avant avec l’idée d’échanger des données personnelles avec des entreprises”.

Le taux de 35 % d’acceptation est assez similaire aux taux constatés sur les sites web marchand pour partager l’adresse email avec les partenaires d’une marque (la fameuse case à cocher du consentement). 

A l’opposé, le taux de consentement cookie recueilli sur les sites Web peut dépasser les 70% s’il est correctement travaillé. 

Cela montre bien, renforcé par de nombreuses études, que le taux de partage d’information varie grandement en fonction de la nature, du contexte des informations demandées, de la transparence sur leur utilisation mais aussi du profil de l’internaute.

Schématiquement, plus il est éduqué, moins il partage d’information (voir il ment malicieusement) sur les données déposées, plus la confiance et la transparence est forte, meilleur sera le taux de conversion et plus les informations demandés sont intrusives où sans aucun rapport avec le contexte de recueil, plus fort sera le taux d’abstention.

Dans ce contexte, recueillir des données sur l’internaute reste possible si le contexte de recueil, la transparence sont bien travaillés 

Comment les CMO (Responsables Marketing) arrivent-ils à gérer la complexité d’une campagne marketing email entre l’analyse des données, les messages à construire et les règles techniques des opérateurs telco et de la CNIL ? 

C’est un métier à part entière mais qui possède la particularité d’être plus stable que d’autres activités digitales, comme celle du SEA, du display ou de la mesure du trafic. En effet l’email (avec le web) restent indépendants des Gafa (on ne paie pas Gmail pour aboutir en boîte de réception). Chez les GAFA, les règles et les modes de gestion des campagnes publicitaires peuvent évoluer tous les 6 mois et remettre en cause des pratiques établies.

Depuis 5  ans, les règles de l’emailing ont évolué certes, mais ne sont pas fondamentalement transformées. Elles restent ancrées sur des basiques qui sont la segmentation/ciblage, la personnalisation et le marketing automation. L’usage intensif des data et de l’IA permet d’être plus fin, agile et prédictif dans ces 3 domaines.

La délivrabilité qui introduit de nouvelles règles depuis 8/10 ans, amène une nouvelle dimension technique mais s’appuie fondamentalement sur ces bonnes pratiques de marketing individuel (marketing adressé ou directe).

L’arrivée de la lecture généralisée sur Smartphone des emails à changé lentement les règles de conception sur un affichage mobile, mais sont maintenant bien maîtrisées. L’enjeu reste encore la bonne transformation de la visite mobile sur un site Web.

Dans ce domaine, les email-builders (éditeurs d’emails) se sont généralisés et la conception d’email simple n’a jamais été aussi aisée et accessible à des non techniciens.

Sur l’aspect légal, les règles de prospection par courrier électronique sont toujours régies par le règlement Eprivacy qui date de 2002 (cf publication CNIL de janvier 2022) et ne changent pas fondamentalement avec pour l’emailing.

Le recueil du consentement pour enregistrer l’ouverture semble acté par la CNIL en associant le pixel d’ouverture à un traceur (au sens cookie). Cette position est largement contestable (et contestée par la DMA France) et je constate d’ailleurs que peu d’ESP propose ce choix. 

De plus, l’ouverture représente de moins en une activité réelle du destinataire, notamment depuis qu’IOS 15 le soumet à un consentement sur ses applications et que d’autres acteurs mondiaux (gmail…) envisagent de faire de même.  A terme, c’est un métrique qui n’aura plus beaucoup d’intérêt pour les marketeurs.

C’est décidément une expertise incroyablement profonde, quelles sont les écoles qui dispensent des formations poussées sur ces sujets à la fois d’un point de vue technique et marketing ? 

Rares sont les master digitaux qui n’abordent pas le CRM Marketing et l’emailing avec plus ou moins de profondeur. Les étudiants sont toujours étonnés de l’enjeu de l’emailing pour le chiffre d’affaires d’un site ecommerce. Il reste très élevé autour de 25 à 30 %  (en last click).

Pour les formations numériques intégrant l’emailing, il existe un label récent monté par les 4 plus importantes associations digitales en France (MMA, IAB, CPA et DMA). Ce label distingue et valorise les formations répondant aux besoins actuels et futurs du marché pour une meilleure intégration des étudiants. La thématique CRM/emailing est ainsi bien représentée sur les dimensions marketing et technique.

Quelle est ton analyse face aux interdictions de la CNIL d’utiliser des solutions made in USA comme Google Analytics pour faire face aux agressions juridiques et commerciales des lois extra-territoriales US ? Les annonceurs suivent-ils ces “recommandations” ? 

La secousse est rude pour la mesure de trafic car GA était durablement implantée sur quasiment tous les sites Web en intégrant profondément les campagnes SEA et il est difficile pour les équipes métiers d ‘y renoncer.

La situation est bien différente dans l’emailing ou les ESP (Email service provider) français sont nombreux .
Le pays où sont entreposées les données des campagnes est un point sensible pour la CNIL et par la même pour les DPO des grandes entreprises qui sont de plus en plus sensibles sur le prestataire et lieu d’hébergement des données.

Pour les PME et institutions, le paysage est plus contrasté et je reçois de nombreuses newsletter d’e-commerçants, d’institution, d’association professionnelle, routés par des prestataires non implantés en Europe sans respecter l’interdiction de la Cnil. 

Par exemple, Mailchimp, le leader mondial des ESP (Email service provider) n’a aucun serveur en Europe et il est très utilsé en France

Pourtant l’offre d’ESP français est pléthorique mais la prise de conscience est plus lente que pour les grands groupes. 

A noter que cette l‘interdiction de la CNIL, si elle complètement appliquée rendra très sensible l’utilisation de tous les prestataires de personnalisation, gestion de formulaire, chaîne publicitaire des bannières (DSP… ) qui sont nécessaires à l’économie digitale.

Dans ce contexte l’emailing reste peu menacé grâce à la présence d’acteurs français, nombreux, dynamiques et de qualité.

Je me suis amusé en intro à retracer mon vécu de l’emailing du point de vue du jeune (puis moins jeune) commercial. Comment ont évolué les enjeux de la délivrabilité avec l’usage de plus en plus massif de l’emailing ? 

Il y a eu un avant et un après 2012. De 2005 a 2012, le mantra emailing fût “‘plus on roule, plus cela rapporte”. Cela à abouti à des pressions commerciales fortes, parfois 2 emails par jours pour des sites e-commerçants en faisant fit des règles marketing. Pas de segmentation, pas de personnalisation, un envoi massif aux prospects et clients et cela fonctionnait plutôt bien.
A partir de 2012 – 2015, les webmails sifflent la fin de la récréation pour permettre une bonne expérience utilisateur au sein de leur messagerie. Petit à petit, les expéditeurs qui n’envoient pas des messages ‘pertinents’ (de bonne qualité marketing) sont rejetés.
Dès lors, un retour en force des bons réflexes marketing a été nécessaire pour arriver en boîte de réception.

 Le chemin a été lent, mais il est maintenant acté et connu. D’ailleurs, la DMA France lors de son enquête annuelle (réalisée depuis 2005), a constaté que les volumes d’emails marketing routés en France en prospection et fidélisation ont largement diminué depuis 2015. 

Quelles sont les problématiques les plus récurrentes des tes clients lors de tes missions de conseil ? Quelles sont les missions que tu trouves hyper utiles à délivrer mais qu’on te demande moins ? 

J’interviens à l’occasion de baisse de performance des campagnes CRM emailing pour différentes causes : usure du programme relationnel, problème de délivrabilité.

Ayant réalisé 4 études benchmark ou guide d’achat de solution de CRM, j’accompagne régulièrement les marques à choisir la bonne solution lors de changement de prestataire CRM ou CDP.  Dans un monde où le marketing des offres (souvent américaines) brouillent la capacité fonctionnelles des outils, un avis extérieur permet de conserver une certaine lucidité et de détecter les promesses non tenues
Le changement d’outils est souvent l’occasion de mettre en place de nouvelles pratiques et campagnes et de mieux travailler avec les différents services digitaux.

A ce sujet, je constate qu’il existe encore des cloisonnements entre le département CRM/marketing et celui qui gère le trafic (site web, acquisition) ce qui bloque des synergies importantes.
En effet, une partie du trafic web identifié et segmenté (audience Web) peut servir des scénarios CRM performants (parfois en temps réel).  Inversement le CRM possède des données bien utiles à l’optimisation de la performance du site. Ce ne sont pas la technicité des outils CRM et Web qui bloque ces projets, mais souvent des incompréhensions culturelles ou blocages managériaux.  

Comme beaucoup de mes confrères, je constate que les annonceurs sont frileux pour tester des innovations au sein des emails ne serait-ce  que des pratiques de tests A/B qui sont la base du marketing relationnel et du Growth Hacking.

Comment vois-tu les usages de l’email jusqu’à 2030 ? 

Mon constat est le suivant en 2022 : impossible d’être inséré dans la société sans : 

    • un logement, 
    • un smartphone, 
    • un numéro de téléphone, 
    • une connexion internet 
    • et un email.

L’email est avec le numéro de mobile, l’identifiant permettant une communication libre et sans filtre avec le citoyen et le consommateur. L’email est gagnant sur le coût de diffusion par rapport aux SMS (3000 fois plus cher).

Au-delà de cet aspect social, petit à petit le contenu des boîtes aux lettres à changé : 

    • tous les messages familiaux et amicaux sont passés sur les messageries instantanées (Whatsapp, Signal, Wechat, messenger).
    • les newsletters informationnelles se sont largement développées avec succès lors des deux dernières années.
    • l’email d’entreprise reste très présent, même s’il migre pour la gestion de projet et la communication internet sur des ‘forum ‘ (slack …).
    • les communications avec les ‘’institutions’’ sont très consommatrices d’emails (impôts, mutuelles, assurances, etc.) ainsi que les sites e-commerçants avec les emails transactionnels.
    • l’email est indépendant des GAFA et sont coût est imbattable

Impossible de prédire l’usage de l’email en 2030, toutefois certaines tendances apparaissent :

    • un plus grand respect de la vie privée des utilisateurs de messagerie (suppression des traceurs d’ouverture)
    • une mise en valeur des marques qui routent des campagnes de bonne qualité et respectent les pré-requis techniques (authentification, norme BIMI, …)
    • un danger permanent avec les tentatives d’escroquerie et malware propagés par email qui peuvent réduire fortement l’usage de l’email en entreprise
    • un contexte de délivrabilité qui devrait encore se durcir pour ne délivrer que des emails de bonne qualité en boîte de réception. Voir notre formation programme de formation sur ce sujet
    • des tentatives de rendre plus dynamique le contenu des emails (AMP, …) tout en gardant un contexte de sécurité fort dans le messagerie,

source : Smart Insights

 

Bruno merci infiniment pour ton temps et la qualité de tes propos.

Florence Consultant  organise des formations et délivre une expertise Emailing auprès des services marketing et vente. Bruno Florence optimise depuis 20 ans votre CRM et la performance de vos campagnes d’emailing & délivrabilité.

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